Texte: FILMS INVISIBLES
« Le cinéma mental fonctionne continuellement
en chacun de nous - il a toujours fonctionné,
même avant l’invention du cinéma
et jamais il ne cesse de projeter
des images sur notre écran intérieur. »
(Italo Calvino, Leçons américaines, 1989)
Il m’arrive de « voir » des films, partout. Quand je fais une image, je m’intéresse à ce qui vient avant et après cette image. Par quel chemin est- elle arrivée, et quelle autre image pourrait la suivre ? Chaque image que je crée est, de ce fait, un mouvement arrêté.
C’est un questionnement sur la perception de ce qui est immobile.
Nous regardons un objet et nous pensons tout voir. Mais nous ne pouvons pas tout voir.
Sous une surface statique et inanimée peut se cacher une autre réalité,
imperceptible à notre vision en temps réel. Pour accéder à cette autre
réalité, il faut briser l’unité de l’espace-temps du regard.
objet cinématographique "ceci est un film" 2008
Cet autre temps est le temps linéaire qui est accessible avec un appareil photo ou une caméra. La vision n’est plus en simultané, mais en séquence.
L’image fixe se transforme en film, révélant des mouvements
imperceptibles à l’œil nu : des films invisibles.
La question peut être inversée :
Qu’est-ce que nous voyons qui n’est réellement pas là dans un tableau ?
Jusqu’à quel point je peux effacer des éléments d’un dessin- qui devient ainsi abstrait- tout en laissant percevoir des bribes de figuration, des bribes qui deviennent « lisibles » grâce au procédé cinémato-graphique?
L’existence matérielle et immobile d’une série de peintures ou
de dessins peut contenir une autre existence, virtuelle et en mouvement, visible seulement en projection.
Quand je fais mes peintures devant une audience, il devient vite évident que cette peinture est nullement spontanée, mais au contraire totalement préparée et planifiée. Là, les spectateurs essaient de comprendre le concept et le sens de la peinture.
D’une part, il y a une fascination d’observer « l’artiste au travail » et de voir surgir des images en peinture, mais il y a aussi le sentiment que ces signes sont porteurs d’un sens encore invisible, qui ne peut pour l’instant pas être déchiffré.